Poëtudes ... écritures et arts

Avec de vrais morceaux de phrases dedans...

L'exil est un baobab déraciné

 

 

L'exil est un baobab déraciné …

 

J'ai la frontière bloquée en travers du gosier

Les tripes à l'envers – des civières plein les pensées

 

Ici … la route est toute lumière

c'est la terre du silence où hier s'est dissout

 

Derrière les barrières il y a des barbelés de regards

et des frères hagards dans un enfer démembré

 

Je pense … que je ne pense plus … mais j'avance

doute à perte de vue – douleur invaincue – chance ténue d'un demain

 

Là -chemin sans mains sans liens tout naufrage

soudain, ce gratte ciel qui me dévisage

folle furie des bruits

autos motos moteurs horreurs en déroute

 

Ici … la pluie connaît à peine le chemin de la maison

le mot nuage est un secret

qui se transmet de saison en saison

 

Là - inondé

le bitume boueux me prend à la gorge

chaque ruelle est pleine de noir

mâchoire serrée - pas intranquilles …

 

Ici … des villes n'habiteront jamais

et mon âme danse

 

Là - avions et avions et bombes ensemble

et encore tout mon corps se tremble

sous tout ce ciel qui vrombit vomit du bruit sur l'asphalte sali

 

Ici … doux le sable

sous mes pieds plantés qui repoussent à peine le sol

 

Là - ma langue a craché tout son venin

rage drame et chagrin

crachin figé dans le macadam du destin

 

… l'air doux ici

 

Là - mon armure d'acier est resté bloquée

dans l'ascenseur de l'aéroport

 

 

 

Ici … les bateaux et les ports

ne jugent pas à mort les fuyards

 

Là - personne ne connaît son voisin

ne sait rien des corps noyés des miens

 

Ici … il n'y a pas le mot solitude

mais beaucoup pour la main :

celle qui donne, se tend, s'ouvre …

 

Là - les yeux ne voient que ce qui se vend

 

Ici … chaque regard fait naître celui qui le reçoit

 

Là - je suis sorti en courant à tue-tête

d'une jungle de millier de mètres remplie de cris

 

Ici … longtemps pour marcher vers l'eau

jarre pesant sur le sommet du crâne

 

Là - coincés dans des guerres entières

vie acheté dépensée pour rien

 

Ici … souffle debout sous un ciel reposé

 

Là - étranger en exil

avec tout mon corps déplacé

 

ici mon cœur lourd

pour toujours enraciné là-bas

comme un baobab.

 

© Anne Rapp-Lutzernoff – Poëtudes - 2017

 

 

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