9 Janvier 2019
« Ta fille a pour visage une petite émeute / ses mains sont une guerre civile /
un camp de réfugiés derrière chaque oreille / un corps jonché de choses laides. /
Mais Dieu, /Vois-tu comme elle porte bien le monde? »
Warsan Shire - Où j'apprends à ma mère à donner naissance
Il y a cet instant suspendu à
un souffle d'air
avant est ailleurs
après n'est pas prêt
Ce point précis
inconfortable
qui dérive entre deux rives
Fil flottant entre
espoir et contre toute attente
Cette minuscule fulgurance d'éclair où
toute une vie entière reste ou bascule
au creux de la vague
C'est
sur ce grain de sable invisible
entre jamais et encore possible
que les rouages de destins entiers coulent
ou surnagent
Dans cette inconsistante seconde
tout corps plongé dans l'eau
se relève ou se noie
Dans cette eau dans cette onde
- à peine plus épaisse que les phrases froissées d'un livre -
dans ce flot
un seul mot blesse ou délivre
Ici transi en transit entre deux berges
le sel brûle dévaste immerge sous un ciel sans calcul
Canaux pneumatiques gonflés à bloc de peurs paniques
coques en cloque bateaux titaniques
mer amère peine liquide
Coups contre coups
hommes femmes cœurs et âmes corps crevés
creusent les crevasses sombres de leurs tombes
dans notre oubli d'océan
Devant le luxe aveugle de nos yeux
la fuite
décime
l'engloutissement clot l'aveu de la suite de nos
ventes mines bombes crimes armes larmes feu et sang
sans consentement mutuel
Le temps de rêver n'attend plus
A cet instant
suspendu
à
un souffle qui tremble
choisir
dormir ou se réveiller
anéantir
ou se relever
ensemble.
Anne Rapp-Lutzernoff
In, "Entre deux os"
© Anne Rapp-Lutzernoff – Poëtudes - 2018